Gérer un conflit entre associés

L’action en abus de majorité, en abus de minorité ou en abus d’égalité

Les conflits entre associés prennent souvent forme lors du vote des décisions collectives.

Les situations de vote de décisions collectives sont parmi les plus propices aux conflits entre associés.

Des associés majoritaires peuvent, par exemple, reprocher aux associés minoritaires d’avoir abusé de leur minorité de blocage pour faire échec à l’adoption d’une décision.

À l’inverse, des associés minoritaires peuvent faire grief aux majoritaires d’avoir abusé de leur position pour imposer une décision.

Et parfois, dans le cas d’une répartition égalitaire du capital, ce peut être un associé égalitaire (ou plusieurs associés appartenant à un bloc égalitaire) qui reprochera(ont) à l’autre associé égalitaire (ou aux associés de l’autre bloc) le sens de son (leur) vote.

Dans ces différentes situations, les associés qui estiment que le vote de leurs coassociés est abusif peuvent engager à l’encontre de ces derniers une action en justice. Il s’agira d’une action :

– en « abus de majorité » lorsqu’elle est dirigée contre des associés majoritaires ;

– en « abus de minorité » lorsqu’elle est dirigée contre des associés minoritaires ;

– en « abus d’égalité » lorsqu’elle est dirigée contre des associés égalitaires.

Par une action en abus de majorité, les associés minoritaires peuvent obtenir l’annulation de la décision contestée ainsi que, le cas échéant, la condamnation des majoritaires à des dommages et intérêts.

Dans le cadre d’une action en abus de minorité ou d’égalité, les associés reconnus fautifs peuvent également être condamnés à des dommages et intérêts.

Mais cette action ne permet pas d’obtenir du juge qu’il prenne lui-même la décision à laquelle les associés minoritaires ou égalitaires ont fait obstacle.

Le juge ne peut que désigner un mandataire ad hoc, qui aura pour mission de participer à la prochaine assemblée, en lieu et place des associés fautifs, et de prendre position en leur nom sur la décision à laquelle ces derniers avaient fait échec.

Remarque importante : dans tous les cas, l’action en abus de majorité, de minorité ou d’égalité ne peut être accueillie favorablement que s’il est démontré que le vote des associés attaqués ne visait qu’à favoriser leurs intérêts, au détriment de ceux des autres associés et de celui de la société.
Attention, ces conditions sont cumulatives. Il n’y a pas d’abus du droit de vote lorsque le vote contesté, bien que contrariant les intérêts particuliers de certains associés, reste conforme à l’intérêt social.

La désignation d’un administrateur provisoire

La nomination d’un administrateur provisoire permet de sortir la société d’un conflit relativement grave.

Lorsque le conflit entre associés est tel qu’il empêche le fonctionnement normal de la société au point de menacer celle-ci de péril, la désignation en justice d’un administrateur provisoire (ou administrateur judiciaire) peut être sollicitée par l’un d’eux ou par les dirigeants.

L’administrateur provisoire a alors pour mission de gérer temporairement la société, en lieu et place de ses dirigeants, qui se trouvent de ce fait dessaisis de leurs fonctions.

À noter : en pratique, la mission de l’administrateur provisoire est une mission rémunérée. La décision qui prononce sa nomination fixe le montant de cette rémunération, laquelle doit normalement être prise en charge par la société. Cependant, il est parfois possible de faire peser la charge de cette rémunération sur les associés responsables de la crise sociale.

La durée et l’étendue du mandat de l’administrateur provisoire sont fixées dans la décision judiciaire qui le nomme.

Remarque : le recours à la désignation d’un administrateur provisoire ne s’impose qu’en cas de crise sociale aiguë. Pour les crises sociales d’une moindre gravité, la nomination d’un contrôleur judiciaire ou d’un mandataire ad hoc peut être envisagée.
Investi d’une simple mission d’observation et d’information, le contrôleur de gestion (ou observateur de gestion) peut être désigné lorsque le fonctionnement de la société est régulier, mais qu’un conflit entre associés en cours nécessite la protection d’intérêts particuliers.
Le mandataire ad hoc, quant à lui, est un mandataire de justice auquel est confiée une mesure ponctuelle : par exemple convoquer l’assemblée et fixer son ordre du jour.

La dissolution pour mésentente

La dissolution de la société constitue une solution extrême au conflit intervenant entre les associés.

Un élément essentiel doit exister lors de la constitution d’une société et pendant toute la durée de vie de celle-ci : il s’agit de l’affectio societatis.

L’affectio societatis, c’est cette volonté qui doit animer tous les associés d’une même société de collaborer sur un pied d’égalité.

Voilà pourquoi le législateur a fait de la mésentente entre associés – du moins lorsqu’elle paralyse le fonctionnement de la société – un cas de dissolution anticipée de la société, car dans cette situation, l’affectio societatis a disparu.

La dissolution n’est toutefois pas automatique. Elle suppose une action judiciaire.

Tout associé peut engager cette action, à l’exception cependant de celui qui est à l’origine de la mésentente.

Reste que la disparition de la société comme solution à un conflit n’est évidemment pas sans conséquences. Conséquences économiques bien sûr, mais aussi fiscales.

D’où l’intérêt d’avoir prévu dans les statuts une clause d’exclusion permettant de « se débarrasser » d’un associé plutôt que de devoir dissoudre la société.

L’exclusion d’un associé

Autre solution extrême pour gérer les conflits : exclure l’associé (ou les associés) qui « pose(nt) problème ».

La plupart des mesures de gestion des conflits entre associés sont de type curatif et nécessitent un passage préalable devant le juge.

La mesure d’exclusion a, quant à elle, la vertu de pouvoir être préventive et d’être en mise en œuvre au sein de la société, sans recours au juge.

Attention : par nature, une mesure d’exclusion expose au risque d’un contentieux judiciaire. L’associé exclu pouvant tenter de contester les motifs de son exclusion, la procédure d’exclusion ou encore les conditions de rachat de ses titres.
Afin de diminuer le risque de contentieux, il convient de rédiger avec le plus grand soin une clause d’exclusion et de veiller à ce qu’elle soit mise en œuvre avec la plus grande rigueur.
Car l’invalidation par un tribunal d’une mesure d’exclusion peut être particulièrement préjudiciable : annulation de la décision d’exclusion (et donc, éventuellement, obligation de réintégrer l’associé exclu dans la société), octroi à l’associé exclu de dommages et intérêts pour compenser le préjudice (économique mais aussi, le cas échéant, moral) que lui a causé son exclusion.

Dans certaines sociétés, les clauses statutaires d’exclusion sont expressément autorisées par les textes. C’est le cas en particulier des sociétés par actions simplifiées (SAS) et des sociétés à capital variable.

À noter : on peut également évoquer les sociétés civiles professionnelles – dans lesquelles l’exclusion d’un associé peut être prononcée en cas d’interdiction, même temporaire, d’exercer la profession – et les sociétés d’exercice libéral pour lesquelles les décrets propres à chaque profession peuvent prévoir des cas d’exclusion des associés.

Dans les autres formes de sociétés, la jurisprudence admet également les clauses statutaires d’exclusion, sous réserve qu’elles aient été prévues dans les statuts d’origine ou aient été adoptées en cours de vie sociale par une décision unanime des associés.

À noter : les textes applicables aux SAS et aux sociétés à capital variable imposent une règle identique.

Quelle que soit la forme de société, la clause d’exclusion doit fixer précisément les conditions et les modalités de la procédure d’exclusion :

– détermination de l’organe social habilité à prendre la décision (collectivité des associés ou autre organe) ;

À noter : dans les sociétés à capital variable, cet organe ne peut être que la collectivité des associés, laquelle doit, de surcroît, se prononcer à la majorité fixée pour la modification des statuts.

– conditions d’adoption de la décision d’exclusion (condition de vote…) ;

– détermination des motifs d’exclusion ;

Précision : outre le comportement fautif (violation des statuts, de la loi…), ces motifs peuvent également tenir dans la disparition des conditions particulières nécessaires à la réalisation de l’objet social (par exemple : exercer telle activité professionnelle, être détenteur de tel label ou satisfaire à telle norme professionnelle, présenter une certaine surface financière, etc.).
Le motif d’exclusion peut aussi être le changement de contrôle d’un associé personne morale.
Par ailleurs, pour éviter la dissolution de la société pour mésentente, on peut prévoir le rachat forcé des titres (donc l’exclusion) de l’associé sollicitant la dissolution.

– conditions de rachat des titres.

À noter : il ne peut y avoir d’exclusion sans clause statutaire d’exclusion. Même une décision d’exclusion votée à l’unanimité des associés ne peut pallier l’absence d’une telle clause.

Par ailleurs, quelle que soit la forme de société, y compris la SAS ou les sociétés à capital variable, la jurisprudence encadre l’exclusion d’associé par deux principes :

– l’associé dont l’exclusion est envisagée ne peut être privé de son droit de participer au vote de son exclusion(1) ;

À noter : dans une récente affaire, la Cour de cassation a déclaré nulle l’exclusion d’un associé au motif que la clause statutaire sur la base de laquelle son exclusion avait été votée était irrégulière. En effet, cette clause précisait que l’associé concerné par la mesure d’exclusion ne pouvait pas prendre part au vote de la décision (cassation commerciale, 9 juillet 2013, n° 11-27235).

– l’associé concerné par la mesure d’exclusion doit être en mesure de faire état de ses observations avant que la décision d’exclusion ne soit prononcée.

(1) Tout au moins dans les hypothèses où – comme c’est le plus souvent le cas – la décision d’exclusion suppose un vote de la collectivité des associés.

© 2013 Les Echos Publishing